29 avril 1992. Je me suis faite opérer de l’appendicite. J’avais alors 16 ans.
Après mon opération, encore dans les vaps de la chirurgie, je sens ma mère m’embrasser le front. Rien de bien anormal en soi, et pourtant… je n’aimais pas les câlins, ni même les bisous. Tout signe de tendresse en résumé. Ma mère n’était pas spécialement démonstrative, avec moi en tout cas.
En m’embrassant, elle me dit ces quelques mots : « ne t’inquiète pas, ça va aller, je serais toujours là ».
A mon réveil, elle est là avec une peluche, un ours. Je crois bien que c’est la première fois que je reçois une peluche en cadeau de sa part. Je ne prends pas la mesure de ce geste à cette époque.
Je sors de la clinique le 30 avril. Heureuse car mes potes font le tournoi de foot international dans le village où je vis et le soir, c’est la première soirée du tournoi ! je demande alors à mes parents que l’on y aille, malgré la chirurgie de la veille.
La soirée se passe, jusqu’au moment où, sur un morceau de rock and roll, je vois ma mère, qui dansait avec mon père, qui s’écroule. Nous sommes le premier mai, une semaine pile poil avant son 44ème anniversaire.
Je reste figée, à observer la scène, les premiers gestes de réanimation du médecin qui était sur place.
Première lumière qui s’éteint au fond de moi. Je sais mais je me voile la face.
Mes amis m’entraînent dans une autre salle. Ils me font rire, et essaient de me faire disparaître ces images. Je sais mais je me voile la face.
Les jours qui suivent, je suis dans le déni. Je ne comprends pas pourquoi tout le monde est triste ; pourquoi ces personnes là pleurent.
Je n’ai pas souvenir d’avoir beaucoup pleuré.
La veille de l’enterrement, on me demande d’aller dormir chez nos voisins. Pourquoi moi, pourquoi ma sœur et mon frère restent à la maison ?
Le jour de l’enterrement, je me souviens de cette église trop petite pour accueillir tout le monde. Je me vois assise au premier rang avec ce cercueil en face de moi. Je ne lui ai pas dit au revoir. Je ne la verrai plus. Je ne lui ai pas dit au revoir.
Je me souviens qu’au cimetière, j’ai retenu un fou rire suite à une poche plastique qui s’envole derrière le curé.
Une fois terminé, on m’éloigne vite, je ne peux même pas voir mes amis.
Durant ces quelques jours, je me suis éteinte. Ils symbolisent les premiers jours de ma survie.
Plus de 25 ans se sont écoulés avant que je n’écrive ce texte, car j’ai enfin compris que je n’avais pas fait le deuil, j’ai enfin compris mon sentiment de culpabilité à vivre, j’ai enfin pris conscience de cette colère passée sous silence.
Il suffit parfois de poser les mots sur une feuille blanche, d’oser parler à une personne de confiance de ce vide qui nous ronge de l’intérieur pour que la lumière apparaisse et que la prise de conscience se fasse.
Aujourd’hui, je m’autorise à vivre, aujourd’hui j’accepte de vivre.
Aujourd’hui, j’accepte. Aujourd’hui, je vis. Aujourd’hui, JE SUIS.
Une réponse
Ma Belle, tu as su posé de si jolis mots sur cette douleur. Oui tu as réussi à passer au-delà de l’incroyable, de l’inacceptable et oser vivre. Tu l’as compris aujourd’hui, elle t’a portée depuis tout ce temps et t’a donné tout ce qu’elle n’avait jamais su te transmettre avant, pour t’aider à devenir la magnifique femme que tu es devenue.
Bisous Ma Belle